Jacinthe Brind’Amour est céramiste professionnelle depuis 11 ans, et transmet la passion de son métier à travers l’enseignement depuis 9 ans. Chez Les Faiseurs, elle partage ses connaissances dans les initiations à la poterie et les cours de tournage. Elle travaille également sur sa production dans son propre atelier de la rue Fullum, en plus d’y donner des cours privés sur la fabrication des glaçures ainsi que des accompagnements personnalisés.
Elle partage ci-dessous ses réponses aux questions sur son métier qui lui sont le plus souvent posées…
L'anse de ma tasse préférée s'est cassée, peux-tu m'en refaire une?
-Je peux refaire une tasse qui peut ressembler sans jamais être complètement identique (impossible), mais je ne peux pas refaire une anse pour l'ancienne tasse. L'anse est collée lors de la fabrication de la tasse avec de l'argile humide avant tout séchage et cuisson.
Pourquoi est-ce plus cher de personnaliser un de tes produits pour moi?
-Derrière chaque produit, il y a beaucoup plus de temps de recherche que l'on croit. Parfois un projet qui semble très simple est exécuté et on réalise, une fois qu'on le voit en trois dimensions, que cela ne correspond pas à ce que nous avions en tête. De plus, les mains doivent apprivoiser une nouvelle forme et en général, c'est au 3e essai que nous obtiendrons la forme voulue. À cela s'ajoute les risques de bris à la cuisson, ainsi il faut toujours faire au moins 3 pièces pour une seule demande personnalisée. Cela va de même pour un changement de couleur.
J'ai une pièce en céramique que j'aime beaucoup, mais elle s'est brisée, peut-on la réparer?
-On ne peut que recoller les morceaux avec une colle achetée à la quincaillerie et la pièce ne pourra plus être utilisée comme avant; par exemple, il n'est pas possible de manger une soupe dans un bol recollé. Par contre, il pourra toujours être utilisé pour des contenus secs.
J'ai vu que les japonais réparent des pièces avec de l'or, peux-tu réparer mon bol de cette façon?
-C'est possible de faire quelque chose si la sorte de bris le permet, mais le résultat ne pourra jamais être garanti. En céramique, nous travaillons avec plusieurs types de terre et d'émaux qui cuisent à différentes températures. Les résultats de tout ce que nous faisons doivent être d'abord testés. Bien sûr, j'ai habituellement des pistes de solutions en tête, mais une fois passé à la cuisson, il est impossible de revenir en arrière. Il faut aussi prendre en considération que des réparations demandent beaucoup de temps à faire, il faut donc y mettre plusieurs heures et cela se reflétera sur le prix.
Pourquoi est-ce long obtenir des échantillons d'une nouvelle couleur?
-Les céramistes professionnels fabriquent eux-mêmes leurs couleurs et glaçures à partir de matières premières (roches et minéraux) achetés sous forme de poudres. Ces matières sont naturelles et ont un comportement parfois surprenant, car elles réagissent chimiquement entre elles pendant les cuissons. C'est d'ailleurs ce qui confère toute la beauté de notre art traditionnel qui transcende les époques, mais c'est aussi ce qui complique la recherche des couleurs, car c'est plus complexe que d'ajouter un peu de bleu qui donne d'avantage de bleu et un peu de jaune qui donne un résultat plus jaune! Pour une recherche très simple d'une nouvelle couleur ou modification de couleur, il est possible de créer un échantillon rapidement, en quelques jours ou semaines, mais il faut accepter un spectre large de résultat qui peut convenir à une demande flexible. Mais si l'on calcule qu'il faut s'y reprendre à deux ou trois fois en général pour ajuster et obtenir une couleur précise, il faut ici considérer que la céramiste doit cuire chacun de ses essais, cuissons qui mobilisent 24 heures, pour voir ses résultats et apporter les modifications nécessaires. Comme on ne peut pas non plus commencer une cuisson pour quelques tests, l'artisane doit avoir la production en cours nécessaire pour poursuivre. Par la suite, il faut aussi cuire les nouvelles couleurs sur quelques pièces pour en valider le comportement en dimension réelle. Ainsi, pour une couleur précise qui demande 3 à 4 essais, cela peut réellement prendre plusieurs mois afin de trouver ce qui convient, dans les meilleures conditions. Ainsi, on peut considérer deux options: une couleur dite "spectre" à faible coût et peu d'essai, et une couleur précise qui demande des mois de travail.
Peux-tu refaire un couvercle?
-Oui, mais comme l'argile rétrécie d'environ 13% lors du séchage et des cuissons et que ce retrait ne s'effectue pas d'une manière constante, il faudra donc que je fabrique au moins trois couvercles pour en obtenir 1 qui s'ajuste bien. Il faudra payer les trois! La couleur ne pourra pas être reproduite parfaitement non plus, il faudra donc accepter une différence entre l'ancien couvercle et le nouveau. N'oublions pas que les couleurs doivent être cuites pour pouvoir être analysées. Les types d'argiles modifient l'aspect des émaux, donc lorsqu'on reproduit quelque chose, on ne peut pas utiliser la même argile ni les mêmes émaux que la pièce originale. De plus, les matières premières utilisées sont cueillies dans la nature et une même recette peut nous donner un résultat différent d'un inventaire à l'autre. La céramique, c'est compliqué, une multitude de facteurs doivent être pris en compte lors du commencement de chaque projet!
C'est quoi de la porcelaine?
-La porcelaine est un type d'argile qui contient presque seulement du kaolin. Elle a la particularité d'être très blanche et translucide à la lumière. Toutes les terres blanches ne sont pas des porcelaines; la plupart des pièces artisanales blanches sont faites à partir d'un grès dit porcelaineux, un grès qui contient beaucoup de kaolin. Plusieurs personnes décrivent les pièces de céramique blanches comme étant de la porcelaine, mais seules les pièces qui, minces, présentent une translucidité lorsque mise devant une source lumineuse peuvent officiellement être qualifiées de porcelaines (pures). Il faut aussi savoir que la vraie porcelaine est beaucoup plus coûteuse que les autres pâtes céramiques et est plus difficile à travailler, son utilisation peut donc résulter d'un plus grand nombre de pertes pour l'artisan. C'est pour ces raisons que les pièces en porcelaine sont beaucoup plus chères.
J'ai une cocotte qui a une fêlure, peux-tu la réparer pour que je puisse l'utiliser à nouveau au four?
-Non, malheureusement. Notez bien qu'il est important de préserver les plats en céramiques des chocs thermiques. Il est conseillé de préchauffer le four avec la cocotte déjà placée dans le four avant le départ de la cuisson et cuire doucement les recettes destinées aux cocottes et tajines. Il est toujours possible pour vous de boucher la fêlure avec une colle époxy et l'utiliser pour vos plantes ou autre utilisation non-alimentaire ou sèche.
As-tu suivi un cours pour faire de la poterie?
-Les artisans professionnels auto-didactes sont rares, mais existent. Pour la majorité, les artisans professionnels ont obtenu un diplôme collégial technique d'une durée de trois ans. Devenir tourneur et céramiste professionnel demande entre 5 à 10 ans d'expérience et de recherche, il nous apparaît donc très réducteur de présumer que l'on puisse devenir professionnel en n'ayant suivi qu'un cours de loisir. Malheureusement pour nous, notre métier est souvent confondu avec le loisir, car, paradoxalement, nous donnons aussi des cours de loisir. Ce qui différencie un travail d'expérience, c'est l'aspect maîtrisé et professionnel des pièces. Dans mon cas précis, j’ai suivi deux sessions de loisir, j’ai fait un dec technique d’une durée de trois ans et je pratique mon métier depuis 11 ans de façon professionnelle.
Puis-je commander une tasse personnalisée pour dans 5 jours?
-C'est techniquement et physiquement impossible. Le travail de l'argile demande des temps de séchage entre chaque étape de travail (tournage, tournassage, pose d'anse, finition) qui peuvent s'étaler sur quelques jours selon les horaires de travail ou la nature de la pièce. Ensuite, s'ajoute à cela les temps de cuissons; les pièces comportent en général 2 cuissons, parfois 3 et rarement 4. Ces temps de cuissons peuvent varier de 10 à 14 heures et les fours doivent être remplis pour être démarrés, ce qui veut dire que nous devons avoir plusieurs autres pièces pour pouvoir conduire une cuisson et qu'on ne démarre pas les fours pour une seule pièce (à moins de posséder un four à test et je n'en ai pas). Si nous comptons alors une semaine pour la fabrication de la pièce en question (insérée dans les autres commandes en production), quelques jours de séchage, deux jours pour la première cuisson et deux jours pour la deuxième, cela fait déjà deux semaines, ce qui représenterait le délai le plus rapide possible, et cela uniquement si le "timing" concorderait avec les productions en cours et qu'il y aurait suffisamment de pièces pour conduire les deux cuissons pleines.
Pourrais-tu me faire ce modèle, mais avec une anse?
-Parfois c'est possible mais il arrive souvent que des décors entraînent des restrictions techniques qui empêchent l'ajout d'un élément. Aussi, la recherche a fait aboutir la pièce à un résultat satisfaisant et lorsqu'on change un élément, il se peut que toute la pièce perde sa cohérence décorative et que ce changement soit décevant. Bien souvent la pièce a été imaginée et étudiée avec ces ajouts au départ, mais ces propositions ont été rejetées au cours de la recherche.
Comment fais-tu pour mettre des photos sur tes céramiques?
-J'imprime mes propres photos avec une imprimante dont l'encre contient du fer sur un papier spécial qui possède un film en surface et qui se détache lorsqu'on le met dans l'eau. J'applique cette image sur ma pièce entièrement finie et cuite à maturité et je recuis une 3e fois ma pièce. L'émail entre à nouveau en fusion et le fer se dépose dessus. Au refroidissement, tout est figé et mon image est bien imprégnée dans la glaçure.
Pourquoi les pièces des artisans sont plus fragiles que les pièces industrielles?
-Les pièces industrielles sont compressées par des machines qui rendent les particules d'argile très serrées et donc plus solides. Les pièces artisanales ne bénéficient que de la pression des mains des artisans.
Pourquoi les pièces des artisans locaux sont-elles si chères?
-Réfléchissons un peu au coût de la vie actuellement au Québec. Par exemple, les artisans doivent payer leur loyer d'atelier, l'achat et l'entretien de leur équipement en plus des matières premières. Ils perdent en moyenne 50% de leurs vente au profit des boutiques ou en frais d'exposition. Lorsqu'on y pense ainsi, sur une tasse à 30$, 15$ vont à la boutique ou en frais d'exposition et sur le 15$ restant, 10$ à 13$ en moyenne servent à payer le loyer, les équipements, les assurances et la matière premières (pour une petite entreprise). Il ne reste donc que 2$ à 5$ en salaire pour l'artisan par tasse. Si l'artisan diminue son prix de 2$ à 5$, c'est entièrement ce qu'il lui reste dans ses poches qui est soustrait!!! Bref, les coûts de maintient de l'existence des produits faits main sont exorbitants!
Prenons maintenant ce calcul sous un autre angle. Disons qu'un individu-artisan ait besoin de récolter 2000$ pour vivre par mois, ce qui ne fait que 24 000$ imposable par année. Bien sûr, les frais de maintient de l'atelier se limitent et cessent de s'additionner au bout d'un moment. Admettons que le petit atelier coûte 400$ de loyer et une moyenne de 200$ de matières premières par mois à cet artisan, cela représente déjà 2600$ que l'on doit multiplier par deux pour payer les frais d'exposition et les boutiques. Cela fait donc 5200$ de pièces qui doivent être fabriquées et vendues par mois pour un total de 62 400$ par année! Cela représente 2080 pièces à 30$ par année et 173 pièces à 30$ par mois. À ce niveau de production, l'artisan doit engager des employés pour fabriquer, vendre et distribuer autant de pièces... si sur l'année il faut ajouter par exemple 20 000$ de salaire d'employé, il faut refaire cette boucle de calculs où jamais l'argent n'apparaît de façon magique, malheureusement! Le prix des pièces des artisans n'est donc établi qu'à partir des coûts élevés des loyers et des besoins de base pour vivre. Et, plus honnêtement encore, les prix des pièces des artisans sont établis selon le plafond psychologique que les acheteurs nous impose actuellement, car par rapport au temps et à l'investissement que nous y mettons, comparativement à d'autres domaines en métiers d'art, nos prix ne sont pas du tout assez élevés.
J'aimerais aussi ajouter que l'argent ce n'est pas de l'argent. Le manque d'argent, la pauvreté, la précarité, mène à l'endettement et à la dépression (qui peut engendrer de graves conséquences familiales). La question de s'accomplir, d'aimer ce que l'on fait ne devrait jamais justifier de ne pas être payé. Jamais. La société ne devrait même pas permettre que le travail soit possible sans l'accomplissement personnel ou l'épanouissement professionnel. C'est le marché du travail qui fait erreur, pas les artisans et leur passion. Regardons un peu en avant et ne nivelons pas vers le bas, soyons fiers de ce que nous faisons!
Pourquoi charges-tu 35$/h dans une soumission calculée à l'heure?
-J'ai réparti mes dépenses annuelles sur un horaire de 40 heures par semaine. Ce prix couvre donc une moyenne des frais d'exploitation de mon entreprise (loyer, électricité, comptable, assurances, matières premières, entretien des équipements etc.) ainsi que mon salaire.
Pourquoi demandes-tu 80$/h pour une consultation technique privée?
-Parce que les connaissances techniques ont beaucoup de valeur. Pour obtenir ces connaissances, il faut étudier (et s'endetter), prendre beaucoup de risques et pratiquer le métier (et s'endetter encore!) pendant plusieurs années, cela demande de l'investissement moral, temporel et... financier! De plus, les frais d'exploitation d'un atelier ne s'arrêtent pas lorsque je donne un cours privé et le simple fait d'être une artisane pratiquante est risqué en soit, car je ne sais jamais de quoi sera faite ma prochaine année. Je ne suis couverte par aucune institution, n'ai pas de congés de maladie ou de vacances, etc. Il est donc normal que pour transmettre la crème ciblée des connaissances recherchées par un amateur, un prix raisonnable soit demandé.
-Vis-tu de ton métier?
-Oui, j'apporte une contribution financière au budget familial, mais pendant plusieurs années, j'ai dû combiner jusqu'à 4 emplois en même temps pour joindre les deux bouts, payer tous mes coûts et compléter l'année avec un salaire net qui me permettait à peine de faire vivre ma famille. Pendant quelques années, j'ai même caché des frais pour masquer que mon entreprise avait plus de dépenses que de ventes.
-Je pensais pouvoir payer 3$ ou 4$ pour de petites pièces pour mon commerce, pourquoi n'est-ce pas possible?
-Pour plusieurs raisons énoncées plus haut; cela ne couvrirait même pas le prix de mes matières premières et encore moins les coûts de loyer de mon atelier! Comme dirait un bon ami ébéniste, à ce prix-là, j'ai même pas les moyens d'allumer les lumières de l'atelier!
Peux-tu reproduire une pièce que j'aime d'un autre artisan mais pour moins cher?
-Non, absolument pas, ce serait du plagiat. Les recherches prennent du temps, des connaissances et de l'exploitation de matériel. Je n'ai pas le droit de voler le résultat final des fruits d'une recherche élaborée de quelqu'un d'autre.
Pourquoi la vaisselle en grande surface est vendue plus ou moins 1$ et que les produits des artisans sont en moyenne 25 fois plus cher?
-Outre les techniques de fabrications industrielles qui augmentent les rendements de production auxquelles les artisans ne bénéficient pas (machinerie de production de masse), les valeurs commerciales ne sont pas les mêmes. Vous avez probablement entendu quelqu'un revenir de voyage d'un pays ou la valeur monétaire est très différente de celle du Canada dire que les repas ne coûtaient presque rien: "là-bas, tu manges comme un roi pour 0,75$!!. Imaginons un instant que ce repas puisse être importé et re-vendu ici le double du prix! Cela ferait un repas copieux pour 1,50$ alors qu'un repas copieux coûte au moins 30$. Comment les restaurants pourraient concurrencer une telle industrie? C'est exactement ce qui se passe avec notre poterie: elle est importable. Les grosses compagnies font fabriquer là où l'argent a une valeur complètement différente de la nôtre et vendent leurs produits 25 fois moins chers que s'ils avaient été "cuisinés" ici.
J'ai vu un artisan qui fait des pièces moins chères que les tiennes, alors c'est donc possible, pourquoi n'accotes-tu pas ce prix?
-Certains artisans n'évaluent pas les prix de la même façon. Certains oublient de se payer, certains ont moins de responsabilités que d'autres dans leur vie familiale ou sont aidés par des tiers, et d'autres n'ont pas les mêmes coûts de productions (par exemple des loyers de production inclus dans la maison à la campagne). Certains ne seront plus sur le marché dans 3 ans, car ils auront fermé boutique, endettés. Je ne fais partie d'aucune de ces catégories et je désire avoir une carrière qui perdure dans le temps. Une carrière, c'est une quarantaine d'années, pas 3 à 5 ans ou même 10 ans... Il faut évoluer dans notre métier sur le long terme! Cela implique de penser à des congés de maladie, de maternité, des vacances et une retraite! Et cela, je ne l'ai même pas mentionné dans les coûts de production cités plus haut!
Sur cette FAQ élaborée au fil des dernières années de ma pratique, je vous confie ma meilleure pensée pour mes collègues et moi-même:
Un objet fait à la main, ce n'est pas un objet. C'est une performance artistique exécutée malgré des contraintes bien précises et élaborées selon un parcours distinct et des recherches approfondies. Surtout quand le résultat semble simple! C'est comme le ballet ou toute autre discipline impliquant de la pratique et de la technique, c'est au bout de plusieurs années de travail que le résultat se révèle doux, naturel et léger.